Sylvie CHRISTOPHEInterview
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SYLVIE CHRISTOPHE
PAPIERS PEINTS "
Musée du Cloître, Tulle
17 octobre 1996 - 7 janvier 1997

Entretien entre Sylvie Christophe et Manée Teyssandier (octobre 1996).

S.C. : Les pièces qui sont rassemblées dans cette exposition sont liées à un thème précis et à des contraintes que je me suis données : j'ai utilisé des sacs en papier, des sacs d'emballage que j'avais récupérés et accumulés sans savoir au départ à quoi ils allaient servir, simplement pour le plaisir de faire une collecte de papier et l'envie de ne pas les laisser se perdre.

Sur ces sacs en papier ouverts et étalés et qui prennent donc une forme rectangulaire, j'ai travaillé à partir de tapis marocains, (les proportions du support correspondent à des proportions de tapis et les sacs en papier c'est un peu comme des tapis ; on peut les transporter, les rouler).

Je peins des papiers, je coupe des bandes, je les plie et j'utilise cette matière que je couds à la machine en respectant les alternances de motifs, de couleurs et les rythmes du tapis.

Les titres donnés aux peintures sont identiques aux noms des tapis correspondants liés à des tribus, des villages, des régions différentes.

M.T. : Il y a une dimension physique, sensuelle dans ce travail...Vue de l'atelier.

S.C. : Complètement, le plaisir de la matière, de l'agencement, d'un travail manuel et aussi d'un rythme sous différentes formes : avec le pinceau, avec le couteau, avec le pliage et enfin avec la pédale de la machine à coudre. C'est comme un rythme répétitif de boogie-woogie, le pliage pouvant représenter la basse du piano, le côté rythmique permanent et le jeu de couleurs, l'agencement général la partie mélodique.

J'espère que les personnes qui vont voir ces pièces éprouveront un plaisir du même ordre : rythmique, visuel, la tentation de toucher la matière comme on peut avoir envie de toucher un tapis même si toucher est strictement interdit dans un musée.

M.T. : En regardant de près on se rend compte que certaines parties ne sont pas piquées et on est tenté d'aller voir ce qu'il y a derrière...

S.C. : Oui je crois qu'il y a là quelque chose lié au souvenir, à la mémoire, quelque chose d'enfoui, (du plus loin que je me souvienne j'ai toujours aimé coudre ; petite, je le faisais avec la machine à coudre de ma grand-mère) quelque chose d'enfoui qui se révèle par le côté piqué/non piqué, dit/non dit, montré/caché.

M.T. : J'hésite un peu à te poser une question qui a beaucoup été discutée dans les années 70 et qui est celle de la spécificité : pourrais-tu dire qu'il y a une spécificité féminine dans ton travail, dans ta démarche ?

S.C : Je ne sais pas si être à la maison, l'entretenir et la ranger, faire à manger etc... sont des activités spécifiquement féminines mais en tout cas c'est aussi ma réalité du moment. Même si je suis plutôt pour un partage des tâches, je n'ai jamais pensé qu'il y avait une stricte “ égalité ” entre homme et femme, il y a des différences d'identité et chacun porte d'ailleurs en lui une part de masculin et de féminin. Qu'une partie de mon travail, de ma démarche soit liée aussi au plaisir du travail manuel comme je l'ai déjà évoqué et aussi, au plaisir de ranger, empiler, coudre, cuisiner c'est clair, je l'assume complètement.

M.T. : Ce qui est assez frappant c'est qu'à partir d'un matériau pauvre et en partie récupéré, tu produis des effets plutôt riches, luxueux, chatoyants à tel point qu'à des moments on dirait du cuir, de la peau...

Est-ce que cela a un sens particulier pour toi ?

S.C : Transformer la matière, c'est pour moi faire œuvre de création, c'est agir. Il me semble que dans la vie c'est pareil : la beauté, le plaisir, la richesse, le luxe peuvent naître de situations les plus ordinaires. Il s'agit d'une foi dans l'Homme.

M.T. : Comment ce travail inspiré des tapis et à base de papiers a-t-il commencé pour toi et pourquoi ?

S.C. : Je crois qu'il y a toujours un mélange d'intentionnel et de complètement fortuit dans ce qu'on fait. Par exemple pour le travail que je présente dans cette exposition au départ j'ai accumulé des sacs en papier sans savoir du tout ce que j'allais en faire, ils étaient là empilés sous une table dans l'atelier. Pour l'ensemble de mon parcours c'est un peu la même chose. Je me suis toujours connue dessinant, aimant les couleurs, les matières. Très vite j'ai eu une attirance pour les tapis d'orient, leurs motifs, leurs couleurs, leurs matières. Je ne saurais pas trop dire pourquoi, il y avait sans doute l'attrait fort d'une culture différente. Quand j'étais à la fac d'Arts Plastiques à Bordeaux j'ai découvert le travail de Claude Lagoutte un peintre nomade, au sens où il se déplaçait souvent, dans d'autres régions que la sienne ou à l'étranger, s'imprégnait d'un lieu, de “ sa terre ” et travaillait souvent à partir du papier, matériau facilement transportable, qu'il utilisait comme du tissu avec des effets de rythmes répétitifs. J'ai acheté une pièce de lui, elle est comme une carte, un récit de voyage. Au même moment on m'a donné une vieille machine à coudre. C'est alors que j'ai commencé un travail à partir de photocopies de tapis que je morcelais, recomposais, piquais sur papier. Et puis fin l987, je suis partie pour deux ans au Maroc et là j'ai eu un contact plus direct, plus quotidien avec le tapis. A Marakech j'ai découvert un petit musée privé où Bert Flint (un hollandais qui a été professeur des Beaux Arts à Casablanca et qui est actuellement Directeur du Musée d'Agadir) avait rassemblé une collection de tapis marocains mais aussi, d'objets quotidiens : sacs, vêtements tissés... ce qui était une démarche rare à l'époque. Par ailleurs j'ai eu des rencontres journalières avec les papiers utilisés dans les boucheries, les teintureries, et j'ai découvert des papiers très beaux, bruts... Et bien sûr cette habitude des marocains de ne rien jeter, de tout récupérer. Au fond ce qui m'intéresse c'est de partir de quelque chose de vécu, de quotidien, de formes familières et de les emmener ailleurs, plus loin. Profiter du hasard, tirer partie de ce qui arrive là à un moment donné.

Et cela aussi c'est comme dans la vie même, les rencontres humaines se font à l'endroit où on vit et nous transforment. Dans une autre ville il y aurait eu d'autres rencontres, d'autres chemins sans doute. Ce n'est pas une philosophie de la passivité loin de là ni de la résignation à ce qui est, mais partir de ce qui est pour aller plus loin, avec les choses, avec les autres.

M.T. : Autrefois et encore aujourd'hui dans les sociétés dites non développées, il n'y a pas de séparation entre art et artisanat. Est-ce que tu pourrais revendiquer une part de cette non-séparation pour ce qui concerne ton travail ?

S.C. : Oui tout à fait, cette séparation est une notion très occidentale. Le mot “ artiste ” me parait d'ailleurs toujours un mot trop fort, un peu “ déplacé ”, qui renvoie à un statut de supériorité, au dessus des autres.

Je dirais que je suis mère de famille et peintre. □

    Manée Teyssandier est présidente de l'association Peuple-et-Culture Corrèze.

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