Sylvie CHRISTOPHEArticle ...
[Retour à Sélection de textes consultables ...]

Sylvie Christophe, "Motif de poterie algérienne", 120x120 cm, 2001.

La peinture de Sylvie Christophe est-elle Pop' ?

Lors de son exposition personnelle au Musée du Cloître à Tulle en 1996, Sylvie Christophe avait présenté nombre de sacs en papier, ouverts, peints, tressés et comme rebrodés. Déjà trois ans auparavant, depuis certains travaux réalisés à partir de motifs de poteries algériennes, je voyais dans l'atelier ces sacs s'accumuler, ils ne m'interrogeaient guère. Les fonds en papiers de récupération étaient monnaie courante dans sa peinture : papiers de boucheries à l'époque marocaine, et même papier bleu du marchand des quatre-saisons, lorsqu'elle était encore aux Beaux-Arts et s'intéressait au peintre Pierre Buraglio.

Mais là, plus nombreux et plus visibles, ils prenaient une autre dimension.

Les tressages, les piqûres, les pliages de triangle, voilà le vocabulaire que je connaissais. Les amas de rythmes répétitifs, les plages claires ou sombres offrant au regard un espace de calme, les remarques au pinceau en marge des papiers cousus, m'étaient familiers. Et les couleurs de fond qui laissent transparaître le texte imprimé sur le vergé aussi.

Or, tout à coup, m'ont sauté aux yeux les motifs nouveaux, les imprimés publicitaires des sacs de récupération. Au lieu de l'espace de repos habituel entre les lignes de force des compositions, l'effigie du bouton de cuivre emblématique d'une marque de jeans ! ... et de la taille de ma main ouverte ! Plus loin, à peine ravalé sous un jus d'ocre rouge, le logo d'un marchand de hamburger fait jeu égal avec les pliages. répété comme une métope entre les triglyphes attiques.

Et dans l'échiquier d'un tressage, c'est Tom's, le chausseur pour enfants, qui reste lisible et anime le jeu coloré.

Tout cela est intriguant. Comment se l'expliquer? Beaucoup de titres ne parlent que de tapis marocains ou de noms de tribus du Moyen-Atlas.

Mais je me rappelle d'un grand diptyque exposé en 1990 à Limoges : sur l'un des panneaux, on pouvait lire “ payé ” en majuscules sur le kraft d'emballage de fond, à côté d'une colonne de triangles pliés.

Si j'y voyais, à l'époque, une sorte de farce, il faut bien penser maintenant que dans ce là-dessous qui transparaît, il y a quelque chose de plus.


Pourquoi donc Sylvie nous a-t-elle mis sous le nez, dans une composition réglée comme le nombre d'or, et comme enchâssé dans un cadre tissé, l'image joviale (mais renversée par l'accrochage vertical du sac déplié) d'un Père-Noël promotionnel? Si, dans cette même peinture, les bordures et le morcellement du champ d'un tapis Rehamna soulignent plus qu'ils n'occultent la mention latérale d'une chaîne de magasins, doit-on y attacher de l'importance?


Certes, il y a chez elle une volonté évidente de montrer le support à travers la transparence des pigments. Un cahier dessiné de triangles, réalisé en 1990 à partir d'un sac de kraft ramené de Californie, laissait bien voir une sérigraphie verte vaguement paysagère. Mais c'est par un autre côté qu'il faut tenter une approche sémantique. Son travail sur des sacramentaires (récurrent de 1987 à 1992) parlait du sacré et du profane, caviardant par exemple les commentaires liturgiques pour imposer au regard les mélodies des acclamations chantées, seules épargnées.

Le tapis d'Orient est bien pour Sylvie le lieu de ce partage jamais fmi entre le champ du sacré, abrité par des bordures décoratives concentriques, et l'environnement vulgaire et truculent, profane.

Quand, en lieu et place des guls, emblèmes tribaux ancestraux des turkmènes, ou des botéhs, cyprès de l'immortalité des perses de Mir et Saraband, elle orne ses tapis de nomade (avec leurs anses de transport) de macarons commerciaux et autres marques déposées, elle sacralise ces mentions triviales. Son propos peut sembler hors normes par rapport à la tradition du tapis d'Orient, mais ce serait méconnaître les tapis afghans ornés de chars d'assaut et de Mig. C'est peut-être bien de notre société consumériste que parlent ces “ papiers peints ”.

L'empreinte McDo' joue là le même rôle que les bouteilles de Coca, et le Père-Noël succède à Marylin ou Mick Jagger. À ceci près qu'on est en face d'une vraie composition picturale, qu'il y a un autre discours plastique tangible : un référent culturel (le tapis), une surface-support (le sac de papier brut), une technique toute personnelle. Mais devant ce vocabulaire culturellement hétérogène, évoquer le mouvement pop' et la figure emblématique de Warhol, ne nous donne cependant qu'une clé supplémentaire, et sans doute l'essentiel est-il à chercher ailleurs.

Certes, les stars du pop'art nous ont habitué à de tels effets. Mieux, elles ont permis de porter des parts de la culture populaire sous les feux violents des projecteurs de l'art contemporain. Bien avant que Sylvie Christophe ne collecte vieux papiers et tissus usagés, Rauschenberg déjà effectuait de tels réemplois.


Des travaux plus récents reprennent des motifs de poteries kabyles ou de pavements du monastère du Coiroux à Aubazine. Est-ce pop' ? Ni plus ni moins que l'intégration de sons issus d'ailleurs dans la musique des grands groupes pop', comme la caisse-enregistreuse de Money chez Pink Floyd, l'avion de Back to USSR des Beattles. Ils amènent des motifs identifiables dans une œuvre qui parle d'autre chose et qui s'adresse à ses contemporains. C'est comme si un pan de la culture populaire (de la culture générale, même) prenait place dans un discours basé sur l'expression de la modernité, c'est-à-dire sur les guitares électriques et la batterie binaire dans un cas, sur la couleur largement badigeonnée et l'assemblage de papiers de récup' dans l'autre.

Ces motifs anciens et rustiques, Sylvie Christophe les intègre de la même façon dans ses œuvres de grandes dimensions ou à des commandes d'art sacré, comme dans un diptyque et un quadriptyque réalisés pour des églises de Limoges (aux Saints-Anges en 2002 et à Sainte-Bernadette en 2003).

Des œuvres anciennes (1998-1989) sont construites pour leur part à base de pages de journaux. Sylvie en conserve une qui présente une accumulation de pliages sur une page du journal Le Monde consacrée aux élections municipales de 1989.

Des travaux plus “ politiques ” reposent même sur ce principe : ainsi les vieilles cartes routières recolorées, recomposées et faisant glisser nations et continents dans un mixage qui semble revendiquer la mixité des peuples et des idées, présentées à Tulle en 2004 à “ Sortir la tête ” à l'invitation de Peuple et Culture.

Ce mélange de formes issues du quotidien, de matières sauvées du rebut, de visuels appartenant à notre inconscient collectif a sans doute culminé avec le grand assemblage de vêtements féminins (usés et aimés par leurs anciennes propriétaires) exposé en 2003 à la Médiathèque de Tulle.


C'est à cela qu'on identifie un style personnel : quels que soient les lieux de présentation, les formats et la destination des œuvres, les modalités sont comparables, les éléments structurants sont de la même veine, les effets similaires.

En l'occurrence, il ne s'agit pas d'un clin d'oeil volontaire au pop'art. C'est de la poursuite d'une aventure picturale personnelle qui passe par le recyclage de matériaux et d'images qui semblaient avoir fini leur vie. Et si le recyclage est historiquement aussi un geste pop', aujourd'hui, il n'y a pas que les artistes pour s'en soucier... et c'est tant mieux. En art comme ailleurs, c'est un geste plus actuel, plus durable et plus nécessaire que jamais.

Didier Christophe.

    Didier Christophe est docteur en arts.

[retour à la page d'accueil]