Didier CHRISTOPHE / Recherche, article...

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Didier Christophe, multiple,  2002.Multiple repeint en fixé sous transparent, 20x30 cm, 8 exemplaires, 2002.

Paul-Henri Barillier : - Pourquoi exposes-tu à ESTER ?

Didier Christophe : - J'expose là parce qu'il y a une certaine logique à la fois vis-à-vis de mon travail et vis-à-vis, on pourrait dire, de mon engagement. Le travail lui-même depuis cinq / six ans maintenant s'est orienté vers la représentation d'animaux bovins, l'engagement c'est que peu à peu je me suis tourné, à côté de la représentation d'animaux, vers la représentation comme en surimpression d'éléments touchant l'évolution de la science génétique. Ça, c'est lié à la fois à des crises récentes dans les filières agricoles, et aussi à des rencontres et des lectures que j'ai pu faire d'une part au sein de mon activité au Ministère de l'agriculture et d'autre part avec des chercheurs extérieurs. Oui, c'est logique cette présentation à ESTER, parce que il me semble que, évidemment on peut montrer dans une galerie le travail que je fais, mais ça sera peut-être plus facile de rencontrer un public qui a déjà les mêmes questionnements que moi en allant sur les lieux où l'on est susceptible de rencontrer des professionnels. C'est ainsi que j'ai déjà exposé à Lanaud, au pôle national de la race bovine limousine, en Haute-vienne, et maintenant je suis ici dans une technopole à l'invitation d'un professionnel des biotechnologies, Stéphane Sermadiras. Il me semble qu'il y a là des rencontres susceptibles à la fois de faire évoluer mon travail, et de montrer aux scientifiques que dans des secteurs de la société relativement éloignés du monde scientifique, on peut prendre leurs recherches, leurs découvertes comme thèmes de la représentation en peinture -ou dans d'autres arts, éventuellement, il pourrait en être de même- dans le but de rendre plus facilement accessibles les données qu'ils traitent, et en même temps que de les rendre accessible, aider au questionnement face à ces recherches, ces innovations.

-Et quel est le sens de ton travail ?

- Le sens de mon travail, ça serait, aujourd'hui, d'offrir une proposition d'images et d'informations amenant le public à une réflexion, à des échanges, à des débats. Pour moi, si devant une de mes peintures ou un des coussins en plastique que je réalise, les gens peuvent se mettre à débattre, à échanger des idées sur ce que je montre et sur le contenu de qui est montré dans les peintures, il y a une avancée non seulement pour la peinture mais pour la prise en compte des évolutions de la société par les citoyens.

- Tu as parlé plusieurs fois de la représentation : pour toi qu'est-ce que c'est ?

- Je mettrai derrière la représentation l'idée de rendre visible au sens où le théâtre par exemple rend visible, où ça aide à comprendre, à intellectualiser.. Les arts plastiques, le théâtre, ça produit des images, des choses qui sont visuelles ; mais ça produit du sémantique aussi. Donc, pour moi, ce que c'est que la représentation, hé bien, c'est une production de sens. Quand on représente quelque chose, on ne représente pas uniquement à travers des éléments de figuration, on représente à travers des éléments de pensée, des éléments qui peuvent être propres à une société, mais qui s'intègrent dans un ensemble de connaissances et dans une certaine approche de la réalité. Ainsi, pour parler de mon travail, il y a à la fois des éléments qui sont, on pourrait dire, "figuratifs", quand je vais présenter un veau, un taureau, dans certains cas une mouche drosophile, un épi de maïs, voire un personnage, et puis il va y avoir d'autres éléments qui vont venir pour donner du sens et qui pourront être aussi bien des schémas scientifiques. Ces schémas, en donnant du sens en complément de la pure figuration, participent bien sûr de ce qu'on a nommé tout à l'heure la représentation. Ça vient augmenter la quantité d'information qui est donnée, ça permet plus facilement aux gens de se poser les questions sur ce qu'ils regardent. Parce qu'on ne s'attend pas forcément, dans une peinture, à avoir autre chose que des éléments non figuratifs ou des éléments figuratifs, à partir du moment où l'on a des schémas qui participent à une autre dimension de la représentation, il me semble que l'on perçoit que la peinture que je produis, actuellement, a pour but de poser des questions. Représenter, c'est donner à voir, mais c'est aussi donner à réfléchir.

- Et pourquoi ces codes génétiques dans tes peintures ?

- Alors justement, ça participe de ces éléments scientifiques, de ces éléments de savoir, de ces éléments sémantiques qui vont venir alimenter le contenu d'une production artistique pour lui permettre de devenir un outil de communication sociale. C'est à dire, à partir du moment où les gens peuvent se poser des questions et en même temps avoir du plaisir face à une peinture, on se retrouve dans une situation où l'intégration des éléments peut, dans le même temps, offrir à un public un plaisir esthétique et un plaisir plus intellectuel ; on a dit codes génétiques, c'est peut-être pas tout à fait le mot, on va prendre un vocabulaire différent, des caryotypes humains ou caryotypes de taureau, des schémas de chromosome ou de transmission de gènes, la visualisation d'un processus génétique. C'est sur ce principe là que j'avais réalisé il y a deux ans une série de peintures pour le Ministère de l'agriculture sur le thème de l'agriculture durable : le but étant d'avoir plutôt un outil de communication qu'une série de peintures esthétisantes. L'usage que l'on en fait est très orienté vers un public non spécialiste des arts, mais plus habitué les questions agricoles ou environnementales.

- Tu es prof en lycée agricole...

- Hé bien oui. Dans un premier temps, j'ai pensé que ça permettrait de faire vivre ma famille, parce qu'il semblait difficile d'avoir un revenu fixe et convenable en comptant uniquement sur la peinture de ma femme et la mienne. Maintenant je me rend compte que ce choix de travailler pour le Ministère de l'agriculture dans l'enseignement, ça m'a ouvert un certain nombre de pistes pour mon travail de plasticien, ça m'a permis d'approfondir le contenu de ma peinture. Ça n'a que peu changé les techniques, et j'ai trouvé des sources d'évolution. Bon, maintenant, il me semble que je peux regarder vers ailleurs, et surtout regarder autrement. La rencontre avec le photographe Marc Pataut et le critique d'art Brian Holmes, que j'ai faite il y a trois ans alors que j'étais en pleine recherche sur le contenu de mon travail a accompagné ce mouvement et m'a permis d'aboutir aujourd'hui à des préoccupations qui sont bien plus de l'ordre du signifié que du signifiant, c'est à dire du sens que je vais donner à mon travail plutôt que des simples éléments figuratifs que je vais pouvoir y mettre. Même si j'ai toujours du plaisir à peindre ces éléments de figuration sortis de leur contexte, une vache sur un fond géométrique, par exemple, il est évident que ça me semble aujourd'hui une nécessité, de plus en plus une nécessité, d'apporter un surplus de sens parce, qu'en offrant plus de sens, j'offre plus de plaisir et plus d'intérêt.

Interview réalisée en janvier 2001, lors d'une exposition à Ester/Limoges-Technopole.

Paul-Henri Barillier a dirigé la galerie Circulation Res Rei, à Limoges.


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