Didier Christophe, Dar Aït Sidi el
Maati, terre, acrylique, collage et couture sur papier,
75 x 56 cm, printemps 1989 [agrandir].
" C'est en février 1988 que j'ai fait les premiers croquis des grandes
kasbahs au sud de l'Atlas. Sur des feuilles de papier islamique
fabriquées par Jacques Bréjoux au Moulin du Verger de Puymoyen près
d'Angoulème, je dessinais avec un de ces gros crayons Conté à la mine
charbonneuse.
Nombreux sont ces châtelets de terre crue dans la
vallée du Dra en descendant vers Agdz et surtout dans la vallée du
Dadès, après Ouarzazate, en allant vers Boulmane.
Je dessinais une,
deux, voire trois vues sous des angles différents, et parfois un plan.
Je notais les noms des villages, souvent noms de famille. Dar aït Sidi
el Mati, Dar Aït Hammou ou Mansour, Dar Aït bel el-Hosseïn, au village
de Oulad Maâguel, près de Skoura. Dar Oulad Hassan, à El Woust. Dar Aït
Sous, à Amzaourou. El Kelaa des Mgouna. Toundoute, près
d'Imerhrane.
Aït Ali. La Kasbah d'Ameridil, à Oulad Iagoub. Et plus haut dans la
montagne, Aït Benadou, et Telouete.
J'habitais alors Casablanca.
Dès mon retour du Sud, je me procurais à la librairie voisine, au
quartier Maârif, l'excellent ouvrage de D. Jacques-Meunié, Architectures et habitats du Dadès,
paru chez Kincksieck en 1962. Je comparais mes croquis et mes photos
aux relevés et aux textes de cet auteur. Et vinrent ainsi les premières
peintures, après une abstinence qui durait, à quelques écarts de
pinceau près, depuis près de deux ans. J'avais alors 25 ans.
J'assemblais
des feuilles de papier, blanc, beige, grège, je traçais
à la terre
chargée de liant acrylique les massifs châtelets marocains
et, d'un
trait d'encre sépia, j'en soulignais les contours, les
décors de
briques crues, les ouvertures. La terre, je la ramenais bien sûr
des champs environnant les kasbahs, afin d'en conserver à la
fois la matière et la teinte. Peu de couleurs, donc. Parfois je
prenais à ma femme, dans sa
réserve à l'atelier, une bande de papier peinte de bleu,
de rose, que
j'ajoutais à ma composition presque toujours oblonde et
verticale.
J'assemblais les morceaux sur la machine à coudre à
pédale que nous
avions alors, une Singer prêtée par les Franciscaines de
Marie et
provenant de leur ancienne école de jeunes filles à
Casablanca.
C'est à l'automne suivant que Titouan Lamazou publia Sous les toits de terre,
avec Karin Huet, aux éditions Belvisi Al Madariss ; ce beau livre
renforça ma certitude de devoir pourvuivre cette route d'exploration
picturale.
J'ai donc peint des kasbahs pendant quatre ans, alors que
j'étais déjà revenu en France durant l'été 1989, à Limoges... puis même
à Tulle en 1992.
Je les ai montrées beaucoup à l'époque, à
Limoges, Bordeaux, Paris, en galeries et à Drouot comme dans des
mairies rurales.
Je
sais que cette recherche d'un assemblage pictural, entre mes
collages-coutures de papier blanc antérieurs et des motifs observés et
déclinés selon la compréhension que j'en avais, fut le moment
d'alchimie modeste dans lequel tout mon travail actuel trouve son
origine.
Mais visuellement, ça n'est peut-être plus très évident.
Ce
genre de mythe fondateur personnel n'a guère sa place dans la
biographie officielle d'un artiste frappant à la porte d'une
institution, parce que cela montre trop que les cheminements
individuels ne sont pas linéaires, pas résumables, pas assurés tout
risque. Je n'oublie cependant pas.
Avec les kasbahs, je n'ai pas fait carrière : j'en ai
plutôt commencé une, dont je ne savais pas où elle
me ménerait.
Des
douzaines de peintures sur papier et peut-être trente ou quarante
toiles y sont consacrées. Je ne les montre plus. Elles ont pourtant
trouvé quelques collectionneurs fervents. Il m'en reste que j'estime.
Comme un autre aimait les madeleines. " Didier Christophe, 7 février 2007.
Didier Christophe, Ait Hammou, acrylique, terre, encre
sépia, couture sur toile,
60 x 81 cm, 1991, coll. privée.